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était là, le maintien de la vie sociale devait être confié à un mécanisme quasi intelligent : intelligent, en ce que chaque pièce pouvait en être remodelée par l’intelligence humaine, instinctif cependant en ce que l’homme ne pouvait pas, sans cesser d’être un homme, rejeter l’ensemble des pièces et ne plus accepter un mécanisme conservateur. L’instinct cédait provisoirement la place à un système d’habitudes, dont chacune devenait contingente, leur convergence vers la conservation de la société étant seule nécessaire, et cette nécessité ramenant avec elle l’instinct. La nécessité du tout, sentie à travers la contingence des parties, est ce que nous appelons l’obligation morale en général ; les parties ne sont d’ailleurs contingentes qu’aux yeux de la société ; pour l’individu, à qui la société inculque des habitudes, la partie est nécessaire comme le tout. Maintenant, le mécanisme voulu par la nature était simple, comme les sociétés originellement constituées par elle. La nature avait-elle prévu l’énorme développement et la complexité indéfinie de sociétés comme les nôtres ? Entendons-nous d’abord sur le sens de la question. Nous n’affirmons pas que la nature ait proprement voulu ou prévu quoi que ce soit. Mais nous avons le droit de procéder comme le biologiste, qui parle d’une intention de la nature toutes les fois qu’il assigne une fonction à un organe : il exprime simplement ainsi l’adéquation de l’organe à la fonction. L’humanité a beau s’être civilisée, la société a beau s’être transformée, nous prétendons que les tendances en quelque sorte organiques à la vie sociale sont restées ce qu’elles étaient à l’origine. Nous pouvons les retrouver, les observer. Le résultat de cette observation est net : c’est pour des sociétés simples et closes que la structure morale, originelle et fondamentale de l’homme, est faite. Ces tendances organiques n’appa-