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étaient complémentaires, sont sorties les doctrines cyrénaïque et cynique : l’une voulait qu’on demandât à la vie le plus grand nombre possible de satisfactions, l’autre qu’on apprît à s’en passer. Elles se prolongèrent dans l’épicurisme et le stoïcisme avec leurs deux principes opposés, relâchement et tension. Si l’on doutait de la communauté d’essence entre les deux états d’âme auxquels ces principes correspondent, il suffirait de remarquer que dans l’école épicurienne elle-même, à côté de l’épicurisme populaire qui était la recherche souvent effrénée du plaisir, il y eut l’épicurisme d’Épicure, d’après lequel le plaisir suprême était de n’avoir pas besoin des plaisirs. La vérité est que les deux principes sont au fond de l’idée qu’on s’est toujours faite du bonheur. On désigne par ce dernier mot quelque chose de complexe et de confus, un de ces concepts que l’humanité a voulu laisser dans le vague pour que chacun le déterminât à sa manière. Mais, dans quelque sens qu’on l’entende, il n’y a pas de bonheur sans sécurité, je veux dire sans perspective de durée pour un état dont on s’est accommodé. Cette assurance, on peut la trouver ou dans une mainmise sur les choses, ou dans une maîtrise de soi qui rende indépendant des choses. Dans les deux cas on jouit de sa force, soit qu’on la perçoive du dedans, soit qu’elle s’étale au dehors : ou est sur le chemin de l’orgueil, ou sur celui de la vanité. Mais simplification et complication de la vie résultent bien d’une « dichotomie », sont bien susceptibles de se développer en « double frénésie », ont bien enfin ce qu’il faut pour se succéder périodiquement.

Dans ces conditions, comme il a été dit plus haut, un retour à la simplicité n’a rien d’invraisemblable. La science elle-même pourrait bien nous en montrer le chemin. Tandis que physique et chimie nous aident à satisfaire et nous