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en hostilités qu’en curiosités. Et c’est précisément quand elle imite la nature, quand elle se laisse aller à l’impulsion primitivement reçue, que la marche de l’humanité assume une certaine régularité et se soumet, très imparfaitement d’ailleurs, à des lois comme celles que nous énoncions. Mais le moment est venu de fermer notre trop longue parenthèse. Montrons seulement comment s’appliqueraient nos deux lois dans le cas qui nous l’a fait ouvrir.

Il s’agissait du souci de confort et de luxe qui semble être devenu la préoccupation principale de l’humanité. A voir comment il a développé l’esprit d’invention, comment beaucoup d’inventions sont des applications de notre science, comment la science est destinée à s’accroître sans fin, on serait tenté de croire qu’il y aura progrès indéfini dans la même direction. Jamais, en effet, les satisfactions que des inventions nouvelles apportent à d’anciens besoins ne déterminent l’humanité à en rester là ; des besoins nouveaux surgissent, aussi impérieux, de plus en plus nombreux. On a vu la course au bien-être aller en s’accélérant, sur une piste où des foules de plus en plus compactes se précipitaient. Aujourd’hui, c’est une ruée. Mais cette frénésie même ne devrait-elle pas nous ouvrir les yeux ? N’y aurait-il pas quelque autre frénésie, dont celle-ci aurait pris la suite, et qui aurait développé en sens opposé une activité dont elle se trouve être le complément ? Par le fait, c’est à partir du quinzième ou du seizième siècle que les hommes semblent aspirer à un élargissement de la vie matérielle. Pendant tout le moyen âge un idéal d’ascétisme avait prédominé. Inutile de rappeler les exagérations auxquelles il avait conduit ; déjà il y avait eu frénésie. On dira que cet ascétisme fut le fait d’un petit nombre, et l’on aura raison. Mais de même que