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vues diverses prises après coup sur son indivision passée la composent avec des éléments qui ont été en réalité créés par son développement. Imaginons que l’orangé soit la seule couleur qui ait encore paru dans le monde : serait-il déjà composé de jaune et de rouge ? Évidemment non. Mais il aura été composé de jaune et de rouge quand ces deux couleurs existeront à leur tour : l’orangé primitif pourra être envisagé alors du double point de vue du rouge et du jaune ; et si l’on supposait, par un jeu de fantaisie, que le jaune et le rouge ont surgi d’une intensification de l’orangé, on aurait un exemple très simple de ce que nous appelons la croissance en forme de gerbe. Mais point n’est besoin de fantaisie ni de comparaison. Il suffit de regarder la vie, sans arrière-pensée de synthèse artificielle. Certains tiennent l’acte volontaire pour un réflexe composé, d’autres verraient dans le réflexe une dégradation du volontaire. La vérité est que réflexe et volontaire matérialisent deux vues possibles sur une activité primordiale, indivisible, qui n’était ni l’un ni l’autre, mais qui devient rétroactivement, par eux, les deux à la fois. Nous en dirions autant de l’instinct et de l’intelligence, de la vie animale et de la vie végétale, de maint autre couple de tendances divergentes et complémentaires. Seulement, dans l’évolution générale de la vie, les tendances ainsi créées par voie de dichotomie se développent le plus souvent dans des espèces distinctes ; elles vont, chacune de son côté, chercher fortune dans le monde ; la matérialité qu’elles se sont donnée les empêche de venir se ressouder pour ramener en plus fort, en plus complexe, en plus évolué, la tendance originelle. Il n’en est pas de même dans l’évolution de la vie psychologique et sociale. C’est dans le même individu, ou dans la même société, qu’évoluent