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invisiblement adhérente, comme à la flèche sa direction. Les formules démocratiques, énoncées d’abord dans une pensée de protestation, se sont ressenties de leur origine. On les trouve commodes pour empêcher, pour rejeter, pour renverser ; il est moins facile d’en tirer l’indication positive de ce qu’il faut faire. Surtout, elles ne sont applicables que si on les transpose, absolues et quasi évangéliques, en termes de moralité purement relative, ou plutôt d’intérêt général ; et la transposition risque toujours d’amener une incurvation dans le sens des intérêts particuliers. Mais il est inutile d’énumérer les objections élevées contre la démocratie et les réponses qu’on y fait. Nous avons simplement voulu montrer dans l’état d’âme démocratique un grand effort en sens inverse de la nature.

De la société naturelle nous venons en effet d’indiquer quelques traits. Ils se rejoignent, et lui composent une physionomie qu’on interprétera sans peine. Repliement sur soi, cohésion, hiérarchie, autorité absolue du chef, tout cela signifie discipline, esprit de guerre. La nature a-t-elle voulu la guerre ? Répétons, une fois de plus, que la nature n’a rien voulu, si l’on entend par volonté une faculté de prendre des décisions particulières. Mais elle ne peut poser une espèce animale sans dessiner implicitement les attitudes et mouvements qui résultent de sa structure et qui en sont les prolongements. C’est en ce sens qu’elle les a voulus. Elle a doté l’homme d’une intelligence fabricatrice. Au lieu de lui fournir des instruments, comme elle l’a fait pour bon nombre d’espèces animales, elle a préféré qu’il les construisît lui-même. Or l’homme a nécessairement la propriété de ses instruments, au moins pendant qu’il s’en sert. Mais puisqu’ils sont détachés de lui, ils peuvent lui être pris ; les prendre tout faits est plus facile que de les faire. Surtout, ils