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servit de modèle à la Déclaration des droits de l’homme en 1791, a d’ailleurs des résonances puritaines : « Nous tenons pour évident… que tous les hommes ont été doués par leur Créateur de certains droits inaliénables… etc. » Les objections tirées du vague de la formule démocratique viennent de ce qu’on en a méconnu le caractère originellement religieux. Comment demander une définition précise de la liberté et de l’égalité, alors que l’avenir doit rester ouvert à tous les progrès, notamment à la création de conditions nouvelles où deviendront possibles des formes de liberté et d’égalité aujourd’hui irréalisables, peut-être inconcevables ? On ne peut que tracer des cadres, ils se rempliront de mieux en mieux si la fraternité y pourvoit. Ama, et fac quod vis. La formule d’une société non démocratique, qui voudrait que sa devise correspondît, terme à terme, à celle de la démocratie, serait « Autorité, hiérarchie, fixité ». Voilà donc la démocratie dans son essence. Il va sans dire qu’il y faut voir simplement un idéal, ou plutôt une direction où acheminer l’humanité. D’abord, c’est surtout comme protestation qu’elle s’est introduite dans le monde. Chacune des phrases de la Déclaration des droits de l’homme est un défi jeté à un abus. Il s’agissait d’en finir avec des souffrances intolérables. Résumant les doléances présentées dans les cahiers des États généraux, Émile Faguet a écrit quelque part que la Révolution ne s’était pas faite pour la liberté et l’égalité, mais simplement « parce qu’on crevait de faim ». À supposer que ce soit exact, il faudrait expliquer pourquoi c’est à partir d’un certain moment qu’on n’a plus voulu « crever de faim ». Il n’en est pas moins vrai que si la Révolution formula ce qui devait être, ce fut pour écarter ce qui était. Or il arrive que l’intention avec laquelle une idée a été lancée y reste