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derrière elle qu’un mot, enfin que c’est une pseudo-idée. N’en serait-il pas de même de l’idée de « tout », si l’on prétend désigner par ce mot non seulement l’ensemble du réel, mais encore l’ensemble du possible ? Je me représente quelque chose, à la rigueur, quand on me parle de la totalité de l’existant, mais dans la totalité de l’inexistant je ne vois qu’un assemblage de mots. C’est donc encore d’une pseudo-idée, d’une entité verbale qu’on tire ici une objection. Mais on peut aller plus loin : l’objection se rattache à toute une série d’arguments qui impliquent un vice radical de méthode. On construit a priori une certaine représentation, on convient de dire que c’est l’idée de Dieu ; on en déduit alors les caractères que le monde devrait présenter, et si le monde ne les présente pas, on en conclut que Dieu est inexistant. Comment ne pas voir que, si la philosophie est œuvre d’expérience et de raisonnement, elle doit suivre la méthode inverse, interroger l’expérience sur ce qu’elle peut nous apprendre d’un Être transcendant à la réalité sensible comme à la conscience humaine, et déterminer alors la nature de Dieu en raisonnant sur ce que l’expérience lui aura dit ? La nature de Dieu apparaîtra ainsi dans les raisons mêmes qu’on aura de croire à son existence : on renoncera à déduire son existence ou sa non-existence d’une conception arbitraire de sa nature. Qu’on se mette d’accord sur ce point, et l’on pourra sans inconvénient parler de la toute-puissance divine. Nous trouvons des expressions de ce genre chez les mystiques, auxquels nous nous adressons précisément pour l’expérience du divin. Il est évident qu’ils entendent par là une énergie sans bornes assignables, une puissance de créer et d’aimer qui passe toute imagination. Ils n’évoquent certainement pas un concept clos, encore moins une définition