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croire que c’est le volant qui fait tourner la machine.

Les exigences sociales se complètent d’ailleurs les unes les autres. Celui même dont l’honnêteté est la moins raisonnée et, si je puis dire, la plus routinière, met un ordre rationnel dans sa conduite en se réglant sur des exigences qui sont logiquement cohérentes entre elles. Je veux bien que cette logique soit une acquisition tardive des sociétés. La coordination logique est essentiellement économie ; d’un ensemble elle dégage d’abord, en gros, certains principes, puis elle exclut de l’ensemble tout ce qui n’est pas d’accord avec eux. La nature est au contraire surabondante. Plus une société est voisine de la nature, plus large y est la part de l’accident et de l’incohérent. On rencontre chez les primitifs beaucoup d’interdictions et de prescriptions qui s’expliquent par de vagues associations d’idées, par la superstition, par l’automatisme. Elles ne sont pas inutiles, puisque l’obéissance de tous à des règles, même absurdes, assure à la société une cohésion plus grande. Mais l’utilité de la règle lui vient alors uniquement, par ricochet, du fait qu’on se soumet à elle. Des prescriptions ou des interdictions qui valent par elles-mêmes sont celles qui visent positivement la conservation ou le bien-être de la société. C’est à la longue, sans doute, qu’elles se sont détachées des autres pour leur survivre. Les exigences sociales se sont alors coordonnées entre elles et subordonnées à des principes. Mais peu importe. La logique pénètre bien les sociétés actuelles, et celui-là même qui ne raisonne pas sa conduite vivra, s’il se conforme à ces principes, raisonnablement.

Mais l’essence de l’obligation est autre chose qu’une exigence de la raison. C’est tout ce que nous avons voulu suggérer jusqu’à présent. Notre exposé correspondrait de mieux en mieux à la réalité, croyons-nous, à mesure qu’on