Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/278

Cette page n’a pas encore été corrigée

le second point. La question était d’abord de savoir si les mystiques étaient ou non de simples déséquilibrés, si le récit de leurs expériences était ou non de pure fantaisie. Mais la question était vite réglée, au moins en ce qui concerne les grands mystiques. Il s’agissait ensuite de savoir si le mysticisme n’était qu’une plus grande ardeur de la foi, forme imaginative que peut prendre dans des âmes passionnées la religion traditionnelle, ou si, tout en s’assimilant le plus qu’il peut de cette religion, tout en lui demandant une confirmation, tout en lui empruntant son langage, il n’avait pas un contenu original, puisé directement à la source même de la religion, indépendant de ce que la religion doit à la tradition, à la théologie, aux Églises. Dans le premier cas, il resterait nécessairement à l’écart de la philosophie, car celle-ci laisse de côté la révélation qui a une date, les institutions qui l’ont transmise, la foi qui l’accepte — elle doit s’en tenir à l’expérience et au raisonnement. Mais, dans le second, il suffirait de prendre le mysticisme à l’état pur, dégagé des visions, des allégories, des formules théologiques par lesquelles il s’exprime, pour en faire un auxiliaire puissant de la recherche philosophique. De ces deux conceptions des rapports qu’il entretient avec la religion, c’est la seconde qui nous a paru s’imposer. Nous devons alors voir dans quelle mesure l’expérience mystique prolonge celle qui nous a conduit à la doctrine de l’élan vital. Tout ce qu’elle fournirait d’information à la philosophie lui serait rendu par celle-ci sous forme de confirmation.

Remarquons d’abord que les mystiques laissent de côté ce que nous appelions les « faux problèmes ». On dira peut-être qu’ils ne se posent aucun problème, vrai ou faux, et l’on aura raison. Il n’en est pas moins certain