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extrêmes : circulation si naturelle sur les voies tracées par la société qu’on les remarque à peine ; hésitation et délibération, au contraire, sur celle qu’on prendra, sur le point jusqu’où l’on ira, sur les trajets d’aller et de retour qu’on fera en s’engageant successivement sur plusieurs d’entre elles. Dans le second cas, des problèmes nouveaux se posent, plus ou moins fréquents ; et, là même où le devoir est tout tracé, on y met plus ou moins de nuances en l’accomplissant. Mais d’abord, la première attitude est celle de l’immense majorité des hommes ; elle est probablement générale dans les sociétés inférieures. Et ensuite on a beau raisonner dans chaque cas particulier, formuler la maxime, énoncer le principe, déduire les conséquences : si le désir et la passion prennent la parole, si la tentation est forte, si l’on va tomber, si tout à coup on se redresse, où donc était le ressort ? Une force s’affirme, que nous avons appelée « le tout de l’obligation » : extrait concentré, quintessence des mille habitudes spéciales que nous avons contractées d’obéir aux mille exigences particulières de la vie sociale. Elle n’est ni ceci ni cela ; et si elle parlait, alors qu’elle préfère agir, elle dirait : « Il faut parce qu’il faut. » Dès lors, le travail auquel s’employait l’intelligence en pesant les raisons, en comparant les maximes, en remontant aux principes, était de mettre plus de cohérence logique dans une conduite soumise, par définition, aux exigences sociales ; mais à cette exigence sociale tenait l’obligation. Jamais, aux heures de tentation, on ne sacrifierait au seul besoin de cohérence logique son intérêt, sa passion, sa vanité. Parce que la raison intervient en effet comme régulatrice, chez un être raisonnable, pour assurer cette cohérence entre des règles ou maximes obligatoires, la philosophie a pu voir en elle un principe d’obligation. Autant vaudrait