Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/258

Cette page n’a pas encore été corrigée

à elle-même et la détachait ainsi de Dieu. Maintenant c’est Dieu qui agit par elle, en elle : l’union est totale, et par conséquent définitive. Alors, des mots tels que mécanisme et instrument évoquent des images qu’il vaudra mieux laisser de côté. On pouvait s’en servir pour nous donner une idée du travail de préparation. On ne nous apprendra rien par là du résultat final. Disons que c’est désormais, pour l’âme, une surabondance de vie. C’est un immense élan. C’est une poussée irrésistible qui la jette dans les plus vastes entreprises. Une exaltation calme de toutes ses facultés fait qu’elle voit grand et, si faible soit-elle, réalise puissamment. Surtout elle voit simple, et cette simplicité, qui frappe aussi bien dans ses paroles et dans sa conduite, la guide à travers des complications qu’elle semble ne pas même apercevoir. Une science innée, ou plutôt une innocence acquise, lui suggère ainsi du premier coup la démarche utile, l’acte décisif, le mot sans réplique. L’effort reste pourtant indispensable, et aussi l’endurance et la persévérance. Mais ils viennent tout seuls, ils se déploient d’eux-mêmes dans une âme à la fois agissante et « agie », dont la liberté coïncide avec l’activité divine. Ils représentent une énorme dépense d’énergie, mais cette énergie est fournie en même temps que requise, car la surabondance de vitalité qu’elle réclame coule d’une source qui est celle même de la vie. Maintenant les visions sont loin : la divinité ne saurait se manifester du dehors à une âme désormais remplie d’elle. Plus rien qui paraisse distinguer essentiellement un tel homme des hommes parmi lesquels il circule. Lui seul se rend compte d’un changement qui l’élève au rang des adjutores Dei, patients par rapport à Dieu, agents par rapport aux hommes. De cette élévation il ne tire d’ailleurs nul orgueil.