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qu’une importance secondaire : c’étaient des incidents de la route ; il avait fallu les dépasser, laisser aussi bien derrière soi ravissements et extases pour atteindre le terme, qui était l’identification de la volonté humaine avec la volonté divine. La vérité est que ces états anormaux, leur ressemblance et parfois sans doute aussi leur participation à des états morbides, se comprendront sans peine si l’on pense au bouleversement qu’est le passage du statique au dynamique, du clos à l’ouvert, de la vie habituelle à la vie mystique. Quand les profondeurs obscures de l’âme sont remuées, ce qui monte à la surface et arrive à la conscience y prend, si l’intensité est suffisante, la forme d’une image ou d’une émotion. L’image est le plus souvent hallucination pure, comme l’émotion n’est qu’agitation vaine. Mais l’une et l’autre peuvent exprimer que le bouleversement est un réarrangement systématique en vue d’un équilibre supérieur : l’image est alors symbolique de ce qui se prépare, et l’émotion est une concentration de l’âme dans l’attente d’une transformation. Ce dernier cas est celui du mysticisme, mais il peut participer de l’autre ; ce qui est simplement anormal peut se doubler de ce qui est nettement morbide ; à déranger les rapports habituels entre le conscient et l’inconscient on court un risque. Il ne faut donc pas s’étonner si des troubles nerveux accompagnent parfois le mysticisme ; on en rencontre aussi bien dans d’autres formes du génie, notamment chez des musiciens. Il n’y faut voir que des accidents. Ceux-là ne sont pas plus de la mystique que ceux-ci ne sont de la musique.

Ébranlée dans ses profondeurs par le courant qui l’entraînera, l’âme cesse de tourner sur elle-même, échappant un instant à la loi qui veut que l’espèce et l’individu se conditionnent l’un l’autre, circulairement.