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et ses articulations. C’est la sensation globale d’une résistance opposée par les organes. Elle décroît peu à peu, et finit par se perdre dans la conscience que nous avons de nos mouvements quand nous nous portons bien. On peut d’ailleurs admettre qu’elle est encore là à l’état naissant ou plutôt évanouissant, et qu’elle guette seulement l’occasion de s’intensifier ; il faut en effet s’attendre à des crises quand on est rhumatisant. Que dirait-on pourtant de celui qui ne verrait dans notre sentiment habituel de mouvoir bras et jambes que l’atténuation d’une douleur, et qui définirait alors notre faculté locomotrice par un effort de résistance à la gêne rhumatismale ? Il renoncerait d’abord ainsi à rendre compte des habitudes motrices ; chacune de celles-ci implique en effet une combinaison particulière de mouvements, et ne peut se comprendre que par elle. La faculté générale de marcher, de courir, de mouvoir son corps, n’est que la somme de ces habitudes élémentaires, dont chacune trouve son explication propre dans les mouvements spéciaux qu’elle enveloppe. Mais, n’ayant envisagé cette faculté que globalement, et l’ayant d’ailleurs érigée en force opposée à une résistance, nécessairement on fait surgir à côté d’elle le rhumatisme comme une entité indépendante. Il semble qu’une erreur du même genre ait été commise par beaucoup de ceux qui ont spéculé sur l’obligation. Nous avons mille obligations spéciales dont chacune réclame son explication à elle. Il est naturel, ou plus précisément habituel, de leur obéir à toutes. Par exception on s’écartera de l’une d’elles, on résistera : que si l’on résiste à cette résistance, un état de tension ou de contraction se produira. C’est cette raideur que nous extériorisons quand nous prêtons au devoir un aspect aussi sévère.

C’est à elle aussi que pensent les philosophes, quand