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la fonction critique de l’intelligence. Telle a dû être, par un côte au moins, la signification des exercices qui finirent par s’organiser en « yoga ». Le mysticisme n’y était qu’à l’état d’ébauche ; mais un mysticisme plus accusé, concentration purement spirituelle, pouvait s’aider du yoga dans ce que celui-ci avait de matériel et, par là même, le spiritualiser. De fait, le yoga semble avoir été, selon les temps et les lieux, une forme plus populaire de la contemplation mystique ou un ensemble qui l’englobait.

Reste à savoir ce que fut cette contemplation elle-même, et quel rapport elle pouvait avoir avec le mysticisme tel que nous l’entendons. Dès les temps les plus anciens l’Hindou spécula sur l’être en général, sur la nature, sur la vie. Mais son effort, qui s’est prolongé pendant un si grand nombre de siècles, n’a pas abouti, comme celui des philosophes grecs, à la connaissance indéfiniment développable que fut déjà la science hellénique. La raison en est que la connaissance fut toujours à ses yeux un moyen plutôt qu’une fin. Il s’agissait pour lui de s’évader de la vie, qui lui était particulièrement cruelle. Et par le suicide il n’aurait pas obtenu l’évasion, car l’âme devait passer dans un autre corps après la mort, et c’eût été, à perpétuité, un recommencement de la vie et de la souffrance. Mais dès les premiers temps du Brahmanisme il se persuada qu’on arrivait à la délivrance par le renoncement. Ce renoncement était une absorption dans le Tout, comme aussi en soi-même. Le Bouddhisme, qui vint infléchir le Brahmanisme, ne le modifia pas essentiellement. Il en fit surtout quelque chose de plus savant. Jusque-là, on avait constaté que la vie était souffrance : le Bouddha remonta jusqu’à la cause de la souffrance ; il la découvrit dans le désir en général, dans la soif de vivre. Ainsi put être tracé avec une précision plus haute le chemin de la délivrance.