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tout esprit qui s’engage sur la voie mystique, hors de la cité, sent plus ou moins confusément qu’il laisse derrière lui les hommes et les dieux. Par là même il les voit ensemble.

Maintenant, jusqu’où la pensée hindoue est-elle allée dans cette voie ? Il ne s’agit, bien entendu, que de l’Inde antique, seule avec elle-même, avant l’influence qu’a pu exercer sur elle la civilisation occidentale ou le besoin de réagir contre elle. Statique ou dynamique, en effet, nous prenons la religion à ses origines. Nous avons trouvé que la première était préfigurée dans la nature ; nous voyons maintenant dans la seconde un bond hors de la nature, et nous considérons d’abord le bond dans des cas où l’élan fut insuffisant ou contrarié. À cet élan il semble que l’âme hindoue se soit essayée par deux méthodes différentes.

L’une d’elles est à la fois physiologique et psychologique. On en découvrirait la plus lointaine origine dans une pratique commune aux Hindous et aux Iraniens, antérieure par conséquent à leur séparation : le recours à la boisson enivrante que les uns et les autres appelaient « soma ». C’était une ivresse divine, comparable à celle que les fervents de Dionysos demandaient au vin. Plus tard vint un ensemble d’exercices destinés à suspendre la sensation, à ralentir l’activité mentale, enfin à induire des états comparables à celui d’hypnose ; ils se systématisèrent dans le « yoga ». Était-ce là du mysticisme, au sens où nous prenons le mot ? Des états hypnotiques n’ont rien de mystique par eux-mêmes, mais ils pourront le devenir, ou du moins annoncer et préparer le mysticisme vrai, par la suggestion qui s’y insérera. Ils le deviendront facilement, leur forme sera prédisposée à se remplir de cette matière, s’ils dessinent déjà des visions, des extases, suspendant