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Philosophie et religion, elle s’est diversifiée selon les temps et les lieux. Elle s’est exprimée dans une langue dont beaucoup de nuances échappent à ceux-là mêmes qui la connaissent le mieux. Les mots de cette langue sont d’ailleurs loin d’avoir conservé un sens invariable, à supposer que ce sens ait toujours été précis ou qu’il l’ait été jamais. Mais, pour l’objet qui nous occupe, un coup d’œil jeté sur l’ensemble des doctrines suffira. Et comme, pour obtenir cette vision globale, nous devrons nécessairement nous contenter de superposer ensemble des vues déjà prises, nous aurons quelque chance, en considérant de préférence les lignes qui coïncident, de ne pas nous tromper.

Disons d’abord que l’Inde a toujours pratiqué une religion comparable à celle de l’ancienne Grèce. Les dieux et les esprits y jouaient le même rôle que partout ailleurs. Les rites et cérémonies étaient analogues. Le sacrifice avait une importance extrême. Ces cultes persistèrent à travers le Brahmanisme, le Jaïnisme et le Bouddhisme. Comment étaient-ils compatibles avec un enseignement tel que celui du Bouddha ? Il faut remarquer que le Bouddhisme, qui apportait aux hommes la délivrance, considérait les dieux eux-mêmes comme ayant besoin d’être délivrés. Il traitait donc hommes et dieux en êtres de même espèce, soumis à la même fatalité. Cela se concevrait bien dans une hypothèse telle que la nôtre : l’homme vit naturellement en société, et, par l’effet d’une fonction naturelle, que nous avons appelée fabulatrice, il projette autour de lui des êtres fantasmatiques qui vivent d’une vie analogue à la sienne, plus haute que la sienne, solidaire de la sienne ; telle est la religion que nous tenons pour naturelle. Les penseurs de l’Inde se sont-ils jamais représenté ainsi les choses ? C’est peu probable. Mais