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de protoxyde d’azote. On voyait là de l’irréligion. Et l’on aurait eu raison, si le philosophe avait fait de la « révélation intérieure » un équivalent psychologique du protoxyde, lequel aurait alors été, comme disent les métaphysiciens, cause adéquate de l’effet produit. Mais l’intoxication ne devait être à ses yeux que l’occasion. L’état d’âme était là, préfiguré sans doute avec d’autres, et n’attendait qu’un signal pour se déclencher. Il eût pu être évoqué spirituellement, par un effort accompli sur le plan spirituel qui était le sien. Mais il pouvait aussi bien l’être matériellement, par une inhibition de ce qui l’inhibait, par la suppression d’un obstacle, et tel était l’effet tout négatif du toxique ; le psychologue s’adressait de préférence à Celui-ci, qui lui permettait d’obtenir le résultat à volonté. Ce n’était peut-être pas honorer davantage le vin que de comparer ses effets à l’ivresse dionysiaque. Mais là n’est pas le point important. Il s’agit de savoir si cette ivresse peut être considérée rétrospectivement, à la lumière du mysticisme une fois paru, comme annonciatrice de certains états mystiques. Pour répondre à la question, il suffit de jeter un coup d’œil sur l’évolution de la philosophie grecque.

Cette évolution fut purement rationnelle. Elle porta la pensée humaine à son plus haut degré d’abstraction et de généralité. Elle donna aux fonctions dialectiques de l’esprit tant de force et de souplesse qu’aujourd’hui encore, pour les exercer, c’est à l’école des Grecs que nous nous mettons. Deux points sont pourtant à noter. Le premier est qu’à l’origine de ce grand mouvement il y eut une impulsion ou une secousse qui ne fut pas d’ordre philosophique. Le second est que la doctrine à laquelle le mouvement aboutit, et où la pensée hellénique trouva son achèvement, prétendit dépasser la pure raison.