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et de sa valeur. Bornons-nous pour le moment à remarquer qu’il se situe, d’après ce qui précède, en un point jusqu’où le courant spirituel lancé à travers la matière aurait probablement voulu, jusqu’où il n’a pu aller. Car il se joue d’obstacles avec lesquels la nature a dû composer, et d’autre part on ne comprend l’évolution de la vie, abstraction faite des voies latérales sur lesquelles elle s’est engagée par force, que si on la voit à la recherche de quelque chose d’inaccessible à quoi le grand mystique atteint. Si tous les hommes, si beaucoup d’hommes pouvaient monter aussi haut que cet homme privilégié, ce n’est pas à l’espèce humaine que la nature se fût arrêtée, car celui-là est en réalité plus qu’homme. Des autres formes du génie on en dirait d’ailleurs autant : toutes sont également rares. Ce n’est donc pas par accident, c’est en vertu de son essence même que le vrai mysticisme est exceptionnel.

Mais quand il parle, il y a, au fond de la plupart des hommes, quelque chose qui lui fait imperceptiblement écho. Il nous découvre, ou plutôt il nous découvrirait une perspective merveilleuse si nous le voulions : nous ne le voulons pas et, le plus souvent, nous ne pourrions pas le vouloir ; l’effort nous briserait. Le charme n’en a pas moins opéré ; et comme il arrive quand un artiste de génie a produit une Œuvre qui nous dépasse, dont nous ne réussissons pas à nous assimiler l’esprit, mais qui nous fait sentir la vulgarité de nos précédentes admirations, ainsi la religion statique a beau subsister, elle n’est déjà plus entièrement ce qu’elle était, elle n’ose surtout plus s’avouer quand le vrai grand mysticisme a paru. C’est à elle encore, ou du moins à elle principalement, que l’humanité demandera l’appui dont elle a besoin ; elle laissera encore travailler, en la réformant de son mieux, la