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origine ; elles s’en sont dégagées par voie de purification et de simplification, d’abstraction et de généralisation, pour donner une morale sociale. Mais ce qui lie les uns aux autres les membres d’une société déterminée, c’est la tradition, le besoin, la volonté de défendre ce groupe contre d’autres groupes, et de le mettre au-dessus de tout. À conserver, à resserrer ce lien vise incontestablement la religion que nous avons trouvée naturelle : elle est commune aux membres d’un groupe, elle les associe intimement dans des rites et des cérémonies, elle distingue le groupe des autres groupes, elle garantit le succès de l’entreprise commune et assure contre le danger commun. Que la religion, telle qu’elle sort des mains de la nature, ait accompli à la fois — pour employer notre langage actuel — les deux fonctions morale et nationale, cela ne nous paraît pas douteux : ces deux fonctions étaient nécessairement confondues, en effet, dans des sociétés rudimentaires où il n’y avait que des coutumes. Mais que les sociétés, en se développant, aient entraîné la religion dans la seconde direction, c’est ce que l’on comprendra sans peine si l’on se reporte à ce que nous venons d’exposer. On s’en fût convaincu tout de suite, en considérant que les sociétés humaines, à l’extrémité d’une des grandes lignes de l’évolution biologique, font pendant aux sociétés animales les plus parfaites, situées à l’extrémité de l’autre grande ligne, et que la fonction fabulatrice, sans être un instinct, joue dans les sociétés humaines un rôle symétrique de celui de l’instinct dans ces sociétés animales.

Notre seconde remarque, dont nous pourrions nous dispenser après ce que nous avons tant de fois répété, concerne le sens que nous donnons à l’« intention de la nature », une expression dont nous avons usé en parlant de