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d'immoler des victimes humaines, habitude qu’on trouverait dans la plupart des religions antiques, peut-être dans toutes si l’on remontait assez haut. Il n’est pas d’erreur ni d’horreur où ne puisse conduire la logique, quand elle s’applique à des matières qui ne relèvent pas de la pure intelligence. Mais il y a autre chose encore dans le sacrifice : sinon, l’on ne s’expliquerait pas que l’offrande ait nécessairement été animale ou végétale, presque toujours animale. D’abord, on s’accorde généralement à voir les origines du sacrifice dans un repas que le dieu et ses adorateurs étaient censés prendre en commun. Ensuite et surtout, le sang avait une vertu spéciale. Principe de vie, il apportait de la force au dieu pour le mettre à même de mieux aider l’homme et peut-être aussi (mais c’était une arrière-pensée à peine consciente) pour lui assurer plus solidement l’existence. C’était, comme la prière, un lien entre l’homme et la divinité.

Ainsi le polythéisme avec sa mythologie a eu pour double effet d’élever de plus en plus haut les puissances invisibles qui entourent l’homme, et de mettre l’homme en relations de plus en plus étroites avec elles. Coextensif aux anciennes civilisations, il s’est grossi de tout ce qu’elles produisaient, ayant inspiré la littérature et l’art, et reçu d’eux plus encore qu’il ne leur avait donné. C’est dire que le sentiment religieux, dans l’antiquité, a été fait d’éléments très nombreux, variables de peuple à peuple, mais qui étaient tous venus s’agglomérer autour d’un noyau primitif. À ce noyau central nous nous sommes attaché, parce que nous avons voulu dégager des religions antiques ce qu’elles avaient de spécifiquement religieux. Telle d’entre elles, celle de l’Inde ou de la Perse, s’est doublée d’une philosophie. Mais philosophie et religion restent toujours distinctes. Le plus souvent, en effet, la philosophie