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nécessaire, on l’utilise ensuite, puisqu’elle reste présente, pour de simples jeux. Par le fait, nous passons sans peine du roman d’aujourd’hui à des contes plus ou moins anciens, aux légendes, au folklore, et du folklore à la mythologie, qui n’est pas la même chose, mais qui s’est constituée de la même manière ; la mythologie, à son tour, ne fait que développer en histoire la personnalité des dieux, et cette dernière création n’est que l’extension d’une autre, plus simple, celle des « puissances semi-personnelles » ou « présences efficaces » qui sont, croyons-nous, à l’origine de la religion. Ici nous touchons à ce que nous avons montré être une exigence fondamentale de la vie : cette exigence a fait surgir la faculté de fabulation ; la fonction fabulatrice se déduit ainsi des conditions d’existence de l’espèce humaine. Sans revenir sur ce que nous avons déjà longuement exposé, rappelons que, dans le domaine vital, ce qui apparaît à l’analyse comme une complication infinie est donné à l’intuition comme un acte simple. L’acte pouvait ne pas s’accomplir ; mais, s’il s’est accompli, c’est qu’il a traversé d’un seul coup tous les obstacles. Ces obstacles, dont chacun en faisait surgir un autre, constituent une multiplicité indéfinie, et c’est précisément l’élimination successive de tous ces obstacles qui se présente à notre analyse. Vouloir expliquer chacune de ces éliminations par la précédente serait faire fausse route ; toutes s’expliquent par une opération unique, qui est l’acte lui-même dans sa simplicité. Ainsi le mouvement indivisé de la flèche triomphe en une seule fois des mille et mille obstacles que notre perception, aidée du raisonnement de Zénon, croit saisir dans les immobilités des points successifs de la ligne parcourue. Ainsi l’acte indivisé de vision, par cela seul qu’il réussit, tourne tout d’un coup des