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leur connaissons, qui les ont coordonnées entre elles et groupées autour de Zeus, procédant cette fois par simplification plutôt que par complication. Elles n’en ont pas moins été acceptées par les Grecs, qui savaient pourtant les circonstances et presque la date de leur naissance. Mais point n’était besoin du génie des poètes : un décret du prince pouvait suffire à faire ou à défaire des dieux. Sans entrer dans le détail de ces interventions, rappelons seulement la plus radicale de toutes, celle du pharaon qui prit le nom d’Iknaton : il supprima les dieux de l’Égypte au profit d’un seul d’entre eux et réussit à faire accepter jusqu’à sa mort cette espèce de monothéisme. On sait d’ailleurs que les pharaons participaient eux-mêmes de la divinité. Dès les temps les plus anciens ils s’intitulaient « fils de Râ ». Et la tradition égyptienne de traiter le souverain comme un dieu se continua sous les Ptolémées. Elle ne se limitait pas à l’Égypte. Nous la rencontrons aussi bien en Syrie, sous les Séleucides, en Chine, et au Japon, où l’empereur reçoit les honneurs divins pendant sa vie et devient dieu après sa mort, enfin à Rome, où le Sénat divinise Jules César en attendant qu’Auguste, Claude, Vespasien, Titus, Nerva, finalement tous les empereurs passent au rang des dieux. Sans doute l’adoration du souverain ne se pratique pas partout avec le même sérieux. Il y a loin, par exemple, de la divinité d’un empereur romain à celle d’un pharaon. Celle-ci est proche parente de la divinité du chef dans les sociétés primitives ; elle se lie peut-être à l’idée d’un fluide spécial ou d’un pouvoir magique dont le souverain serait détenteur, tandis que celle-là fut conférée à César par simple flagornerie et utilisée par Auguste comme un instrumentum regni. Pourtant le demi-scepticisme qui se mêlait à l’adoration des empereurs resta, à Rome, l’