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Il est rare, d’ailleurs, que l’évolution aboutisse à un état définitif. Si élevé que soit le dieu, sa divinité n’implique aucunement l’immutabilité. Bien au contraire, ce sont les dieux principaux des religions antiques qui ont le plus changé, s’enrichissant d’attributs nouveaux par l’absorption de dieux différents dont ils grossissaient leur substance. Ainsi, chez les Égyptiens, le dieu solaire Râ, d’abord objet d’adoration suprême, attire à lui d’autres divinités, se les assimile ou s’accole à elles, s’amalgame avec l’important dieu de Thèbes Amon pour former Amon-Râ. Ainsi Mardouk, le dieu de Babylone, s’approprie les attributs de Bel, le grand dieu de Nippour. Ainsi dans la puissante déesse Istar viennent se fondre plusieurs dieux assyriens. Mais nulle évolution n’est plus riche que celle de Zeus, le dieu souverain de la Grèce. Après avoir commencé sans doute par être celui qu’on adore au sommet des montagnes, qui dispose des nuages, de la pluie et du tonnerre, il a joint à sa fonction météorologique, si l’on peut s’exprimer ainsi, des attributions sociales qui prirent une complexité croissante ; il finit par être le dieu qui préside à tous les groupements, depuis la famille jusqu’à l’état. Il fallait juxtaposer à son nom les épithètes les plus variées pour marquer toutes les directions de son activité : Xenios quand il veillait à l’accomplissement des devoirs d’hospitalité, Horkios quand il assistait aux serments, Hikesios quand il protégeait les suppliants, Genethlios quand on l’invoquait pour un mariage, etc. L’évolution est généralement lente et naturelle ; mais elle peut aussi bien être rapide et s’accomplir artificiellement sous les yeux mêmes des adorateurs du dieu. Les divinités de l’Olympe datent des poèmes homériques, qui ne les ont peut-être pas créées, mais qui leur ont donné la forme et les attributions que nous