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la comparaison avec ceux que l’animal tenait de la nature. La réflexion même, qui est le secret de sa force, pouvait faire l’effet d’une faiblesse, car elle est source d’indécision, tandis que la réaction de l’animal, quand elle est proprement instinctive, est immédiate et sûre. Il n’est pas jusqu’à l’incapacité de parler qui n’ait servi l’animal en l’auréolant de mystère. Son silence peut d’ailleurs passer aussi pour du dédain, comme s’il avait mieux à faire que d’entrer en conversation avec nous. Tout cela explique que l’humanité n’ait pas répugné au culte des animaux. Mais pourquoi y est-elle venue ? On remarquera que c’est en raison d’une propriété caractéristique que l’animal est adoré. Dans l’ancienne Égypte, le taureau figurait la puissance de combat ; la lionne était destruction ; le vautour, si attentif à ses petits, maternité. Or, nous ne comprendrions certainement pas que l’animal fût devenu l’objet d’un culte si l’homme avait commence par croire à des esprits. Mais si ce n’est pas à des êtres, si c’est à des actions bienfaisantes ou malfaisantes, envisagées comme permanentes, qu’on s’est adressé d’abord, il est naturel qu’après avoir capté des actions on ait voulu s’approprier des qualités : ces qualités semblaient se présenter à l’état pur chez l’animal, dont l’activité est simple, tout d’une pièce, orientée en apparence dans une seule direction. L’adoration de l’animal n’a donc pas été la religion primitive ; mais, au sortir de celle-ci, on avait le choix entre le culte des esprits et celui des animaux.

En même temps que la nature de l’animal semble se concentrer en une qualité unique, on dirait que son individualité se dissout dans un genre. Reconnaître un homme consiste à le distinguer des autres hommes ; mais reconnaître un animal est ordinairement se rendre compte de l’espèce à laquelle il appartient : tel est notre intérêt dans l’