Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/195

Cette page n’a pas encore été corrigée

mais peu importe, pourvu qu’on se rende compte de ce qu’on fait, et qu’on ne s’imagine pas (illusion constante des philosophes !) posséder l’essence de la chose quand on s’est mis d’accord sur le sens conventionnel du mot. Disposons alors toutes les acceptions de notre mot le long d’une échelle, comme les nuances du spectre ou les notes de la gamme : nous trouverons dans la région moyenne, à égale distance des deux extrêmes, l’adoration de dieux auxquels on s’adresse par la prière. Il va sans dire que la religion, ainsi conçue, s’oppose alors à la magie. Celle-ci est essentiellement égoïste, celle-là admet et souvent même exige le désintéressement. L’une prétend forcer le consentement de la nature, l’autre implore la faveur du dieu. Surtout, la magie s’exerce dans un milieu semi-physique et semi-moral ; le magicien n’a pas affaire, en tout cas, à une personne ; c’est au contraire à la personnalité du dieu que la religion emprunte sa plus grande efficacité. Si l’on admet, avec nous, que l’intelligence primitive croit apercevoir autour d’elle, dans les phénomènes et dans les événements, des éléments de personnalité plutôt que des personnalités complètes, la religion, telle que nous venons de l’entendre, finira par renforcer ces éléments au point de les convertir en personnes, tandis que la magie les suppose dégradés et comme dissous dans un monde matériel où leur efficacité peut être captée. Magie et religion divergent alors à partir d’une origine commune, et il ne peut être question de faire sortir la religion de la magie : elles sont contemporaines. On comprend d’ailleurs que chacune des deux continue à hanter l’autre, qu’il subsiste quelque magie dans la religion, et surtout quelque religion dans la magie. On sait que le magicien opère parfois par l’intermédiaire des esprits, c’est-à-dire d’êtres relativement