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analyse, des tendances élémentaires qui nous paraissent devoir expliquer les formes générales que la religion a prises. Nous passons à l’étude de ces formes générales, de ces tendances élémentaires. Notre méthode restera d’ailleurs la même. Nous posons une certaine activité instinctive ; faisant surgir alors l’intelligence, nous cherchons si une perturbation dangereuse s’ensuit ; dans ce cas, l’équilibre sera vraisemblablement rétabli par des représentations que l’instinct suscitera au sein de l’intelligence perturbatrice : si de telles représentations existent, ce sont des idées religieuses élémentaires. Ainsi, la poussée vitale ignore la mort. Que l’intelligence jaillisse sous sa pression, l’idée de l’inévitabilité de la mort apparaît : pour rendre à la vie son élan, une représentation antagoniste se dressera ; et de là sortiront les croyances primitives au sujet de la mort. Mais si la mort est l’accident par excellence, à combien d’autres accidents la vie humaine n’est-elle pas exposée ! L’application même de l’intelligence à la vie n’ouvre-t-elle pas la porte à l’imprévu et n’introduit-elle pas le sentiment du risque ? L’animal est sûr de lui-même. Entre le but et l’acte, rien chez lui ne s’interpose. Si sa proie est là, il se jette sur elle. S’il est à l’affût, son attente est une action anticipée et formera un tout indivisé avec l’acte s’accomplissant. Si le but définitif est lointain, comme il arrive quand l’abeille construit sa ruche, c’est un but que l’animal ignore ; il ne voit que l’objet immédiat, et l’élan qu’il a conscience de prendre est coextensif à l’acte qu’il se propose d’accomplir. Mais il est de l’essence de l’intelligence de combiner des moyens en vue d’une fin lointaine, et d’entreprendre ce qu’elle ne se sent pas entièrement maîtresse de réaliser. Entre ce qu’elle fait et le résultat qu’elle veut obtenir il y a le plus souvent, et dans l’espace et