Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/138

Cette page n’a pas encore été corrigée

moment où l’acte va s’accomplir ne s’incarne pas aussi complètement dans une personne. Arrêtons-nous sur ces trois points.

Dans des sociétés telles que les nôtres, il y a des coutumes et il y a des lois. Sans doute les lois sont souvent des coutumes consolidées ; mais une coutume ne se transforme en loi que lorsqu’elle présente un intérêt défini, reconnu et formulable ; elle tranche dès lors sur les autres. La distinction est donc nette entre l’essentiel et l’accidentel : il y a d’un côté ce qui est simplement usage, de l’autre ce qui est obligation légale et même morale. Il ne peut pas en être ainsi dans des sociétés moins évoluées qui n’ont que des coutumes, les unes justifiées par un besoin réel, la plupart dues au simple hasard ou à une extension irréfléchie des premières. Ici tout ce qui est usuel est nécessairement obligatoire, puisque la solidarité sociale, n’étant pas condensée dans des lois, l’étant encore moins dans des principes, se diffuse sur la commune acceptation des usages. Tout ce qui est habituel aux membres du groupe, tout ce que la société attend des individus, devra donc prendre un caractère religieux, s’il est vrai que par l’observation de la coutume, et par elle seulement, l’homme est attaché aux autres hommes et détaché ainsi de lui-même. Soit dit en passant, la question des rapports de la morale avec la religion se simplifie ainsi beaucoup quand on considère les sociétés rudimentaires. Les religions primitives ne peuvent être dites immorales, ou indifférentes à la morale, que si l’on prend la religion telle qu’elle fut d’abord, pour la comparer à la morale telle qu’elle est devenue plus tard. À l’origine, la coutume est toute la morale ; et comme la religion interdit de s’en écarter, la morale est coextensive à la religion. En vain donc on nous