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LA PERCEPTION DU CHANGEMENT

théorie qui veut que le cerveau serve à la conservation du passé, qu’il emmagasine des souvenirs comme autant de clichés photographiques dont nous tirerions ensuite des épreuves, comme autant de phonogrammes destinés à redevenir des sons. Nous avons examiné la thèse ailleurs. Cette doctrine a été inspirée en grande partie par une certaine métaphysique dont la psychologie et la psycho-physiologie contemporaines sont imprégnées, et qu’on accepte naturellement : de là son apparente clarté. Mais, à mesure qu’on la considère de plus près, on y voit s’accumuler les difficultés et les impossibilités. Prenons le cas le plus favorable à la thèse, le cas d’un objet matériel faisant impression sur l’œil et laissant dans l’esprit un souvenir visuel. Que pourra bien être ce souvenir, s’il résulte véritablement de la fixation, dans le cerveau, de l’impression visuelle ? Pour peu que l’objet ait remué, ou que l’œil ait remué, il y a eu, non pas une image, mais cent images, mille images, autant et plus que sur le « film » d’un cinématographe. Pour peu que l’objet ait été considéré un certain temps, ou revu à des moments divers, ce seront des millions d’images différentes de cet objet. Et nous avons pris le cas le plus simple ! — Supposons toutes ces images emmagasinées ; à quoi serviront-elles ? quelle est celle que nous utiliserons ? — Admettons même que nous ayons nos raisons pour en choisir une, pourquoi et comment la rejetterons-nous dans le passé quand nous l’apercevrons ? — Passons encore sur ces difficultés. Comment expliquera-t-on les maladies de la mémoire ? Dans celles de ces maladies qui correspondent à des lésions locales du cerveau, c’est-à-dire dans les aphasies, la lésion psychologique consiste moins dans une abolition des souvenirs que dans une impuissance à les rappeler. Un effort, une émotion, peuvent ramener