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ralement. L’action des corps environnants s’exercerait sur le cerveau par l’intermédiaire des organes des sens ; dans le cerveau s’élaboreraient des sensations et des perceptions inextensives : ces perceptions seraient projetées au dehors par la conscience et viendraient en quelque sorte recouvrir les objets extérieurs. Mais la comparaison des données de la psychologie avec celles de la physiologie nous montrait tout autre chose. L’hypothèse d’une projection excentrique des sensations nous apparaissait comme fausse quand on la considérait superficiellement, de moins en moins intelligible à mesure qu’on l’approfondissait, assez naturelle cependant quand on tenait compte de la direction où psychologie et philosophie s’étaient engagées et de l’inévitable illusion où l’on tombait quand on découpait d’une certaine manière la réalité pour poser en certains termes les problèmes. On était obligé d’imaginer dans le cerveau je ne sais quelle représentation réduite, quelle miniature du monde extérieur, laquelle se réduisait plus encore et devenait même inétendue pour passer de là dans la conscience : celle-ci, munie de l’Espace comme d’une « forme », restituait l’étendue à l’inétendu et retrouvait, par une reconstruction, le monde extérieur. Toutes ces théories tombaient, avec l’illusion qui leur avait donné naissance. Ce n’est pas en nous, c’est en eux que nous percevons les objets : c’est du moins en eux que nous les percevrions si notre perception était « pure ». Telle était notre conclusion. Au fond, nous revenions simplement à l’idée du sens commun. « On étonnerait beaucoup, écrivions-nous, un homme étranger aux spéculations philosophiques en lui disant que l’objet qu’il a devant lui, qu’il voit et qu’il touche, n’existe que dans son esprit et pour son esprit, ou même, plus généralement, n’existe que pour un esprit, comme le voulait Berkeley… Mais, d’autre part,