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l’avions considérée à peu près seule dans notre premier livre : le déterminisme s’arrangerait avec elle comme il le pourrait ; il s’arrangerait sûrement, aucune théorie ne pouvant résister longtemps à un fait. Mais le problème écarté tout le long de notre premier travail se dressait maintenant devant nous inéluctablement. Fidèle à notre méthode, nous lui demandâmes de se poser en termes moins généraux et même, si c’était possible, de prendre une forme concrète, d’épouser les contours de quelques faits sur lesquels l’observation directe eût prise. Inutile de raconter ici comment le problème traditionnel de « la relation de l’esprit au corps » se resserra devant nous au point de n’être plus que celui de la localisation cérébrale de la mémoire, et comment cette dernière question, beaucoup trop vaste elle-même, en vint peu à peu à ne plus concerner que la mémoire des mots, plus spécialement encore les maladies de cette mémoire particulière, les aphasies. L’étude des diverses aphasies, poursuivie par nous avec l’unique souci de dégager les faits à l’état pur, nous montra qu’entre la conscience et l’organisme il y avait une relation qu’aucun raisonnement n’eût pu construire a priori, une correspondance qui n’était ni le parallélisme ni l’épiphénoménisme, ni rien qui y ressemblât. Le rôle du cerveau était de choisir à tout moment, parmi les souvenirs, ceux qui pouvaient éclairer l’action commencée, d’exclure les autres. Redevenaient conscients, alors, les souvenirs capables de s’insérer dans le cadre moteur sans cesse changeant, mais toujours préparé ; le reste demeurait dans l’inconscient. Le rôle du corps était ainsi de jouer la vie de l’esprit, d’en souligner les articulations motrices, comme fait le chef d’orchestre pour une partition musicale ; le cerveau n’avait pas pour fonction de penser, mais d’empêcher la pensée de se perdre dans le rêve ; c’était l’organe