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une espèce de fusion entre l’onde et le corpuscule, – nous dirions entre la substance et le mouvement[1]. Un penseur profond, venu des mathématiques à la philosophie, verra un morceau de fer comme « une continuité mélodique »[2].

Longue serait la liste des « paradoxes », plus ou moins apparentés à notre « paradoxe » fondamental, qui ont ainsi franchi peu à peu l’intervalle de l’improbabilité à la probabilité, pour s’acheminer peut-être à la banalité. Encore une fois, nous avions beau être parti d’une expérience directe, les résultats de cette expérience ne pouvaient se faire adopter que si le progrès de l’expérience extérieure, et de tous les procédés de raisonnement qui s’y rattachent, en imposait l’adoption. Nous-même en étions là : telle conséquence de nos premières réflexions ne fut clairement aperçue et définitivement acceptée par nous que lorsque nous y fûmes parvenu de nouveau par un tout autre chemin.

Nous citerons comme exemple notre conception de la relation psycho-physiologique. Quand nous nous posâmes le problème de l’action réciproque du corps et de l’esprit l’un sur l’autre, ce fut uniquement parce que nous l’avions rencontré dans notre étude des « données immédiates de la conscience ». La liberté nous était apparue alors comme un fait ; et d’autre part l’affirmation du déterminisme universel, qui était posée par les savants comme une règle de méthode, était généralement acceptée par les philosophes comme un dogme scientifique. La liberté humaine était-elle compatible avec le déterminisme de la nature ? Comme la liberté était devenue pour nous un fait indubitable, nous

  1. Voir à ce sujet Bachelard, Noumène et microphysique, p. 55-65 du recueil Recherches philosophiques, Paris, 1931-1932.
  2. Sur ces idées de Whitehead, et sur leur parenté avec les nôtres, voir J. Wahl, La philosophie spéculative de Whitehead, p. 145-155, dans Vers le concret, Paris, 1932.