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Nous revenons donc encore à notre point de départ. Nous disions qu’il faut amener la philosophie à une précision plus haute, la mettre à même de résoudre des problèmes plus spéciaux, faire d’elle l’auxiliaire et, s’il est besoin, la réformatrice de la science positive. Plus de grand système qui embrasse tout le possible, et parfois aussi l’impossible ! Contentons-nous du réel, matière et esprit. Mais demandons à notre théorie de l’embrasser si étroitement qu’entre elle et lui nulle autre interprétation ne puisse se glisser. Il n’y aura plus alors qu’une philosophie, comme il n’y a qu’une science. L’une et l’autre se feront par un effort collectif et progressif. Il est vrai qu’un perfectionnement de la méthode philosophique s’imposera, symétrique et complémentaire de celui que reçut jadis la science positive.


Telle est la doctrine que certains avaient jugée attentatoire à la Science et à l’Intelligence. C’était une double erreur. Mais l’erreur était instructive, et il sera utile de l’analyser.

Pour commencer par le premier point, remarquons que ce ne sont généralement pas les vrais savants qui nous ont reproché d’attenter à la science. Tel d’entre eux a pu critiquer telle de nos vues : c’est précisément parce qu’il la jugeait scientifique, parce que nous avions transporté sur le terrain de la science, où il se sentait compétent, un problème de philosophie pure. Encore une fois, nous voulions une philosophie qui se soumît au contrôle de la science et qui pût aussi la faire avancer. Et nous pensons y avoir réussi, puisque la psychologie, la neurologie, la pathologie, la biologie, se sont de plus en plus ouvertes à nos vues, d’abord jugées paradoxales. Mais, fussent-elles demeurées paradoxales, ces vues n’auraient jamais été antiscientifiques.