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fermons la fenêtre et qu’il soulève en outre, lui, une question philosophique, tandis que je n’en soulève pas. Mais la question qui se surajoute chez lui à la besogne faite ne représente en réalité que du négatif ; ce n’est pas du plus, mais du moins ; c’est un déficit du vouloir. Tel est exactement l’effet que produisent sur nous certains « grands problèmes », quand nous nous replaçons dans le sens de la pensée génératrice. Ils tendent vers zéro à mesure que nous nous rapprochons d’elle, n’étant que l’écart entre elle et nous. Nous découvrons alors l’illusion de celui qui croit faire plus en les posant qu’en ne les posant pas. Autant vaudrait s’imaginer qu’il y a plus dans la bouteille à moitié bue que dans la bouteille pleine, parce que celle-ci ne contient que du vin, tandis que dans l’autre il y a du vin, et en outre, du vide.

Mais dès que nous avons aperçu intuitivement le vrai, notre intelligence se redresse, se corrige, formule intellectuellement son erreur. Elle a reçu la suggestion ; elle fournit le contrôle. Comme le plongeur va palper au fond des eaux l’épave que l’aviateur a signalé du haut des airs, ainsi l’intelligence immergée dans le milieu conceptuel vérifiera de point en point, par contact, analytiquement, ce qui avait fait l’objet d’une vision synthétique et supra-intellectuelle. Sans un avertissement venu du dehors, la pensée d’une illusion possible ne l’eût même pas effleurée, car son illusion faisait partie de sa nature. Secouée de son sommeil, elle analysera les idées de désordre, de néant et leurs congénères. Elle reconnaîtra — ne fût-ce que pour un instant, l’illusion dût-elle reparaître aussitôt chassée — qu’on ne peut supprimer un arrangement sans qu’un autre arrangement s’y substitue, enlever de la matière sans qu’une autre matière la remplace. « Désordre » et « néant » désignent donc réelle-