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plication. Tel est le point de vue où l’on risque de rester tant qu’on cherche seulement à comprendre. Mais essayons, en outre, d’engendrer (nous ne le pourrons, évidemment, que par la pensée). À mesure que nous dilatons notre volonté, que nous tendons à y réabsorber notre pensée et que nous sympathisons davantage avec l’effort qui engendre les choses, ces problèmes formidables reculent, diminuent, disparaissent. Car nous sentons qu’une volonté ou une pensée divinement créatrice est trop pleine d’elle-même, dans son immensité de réalité, pour que l’idée d’un manque d’ordre ou d’un manque d’être puisse seulement l’effleurer. Se représenter la possibilité du désordre absolu, à plus forte raison du néant, serait pour elle se dire qu’elle aurait pu ne pas être du tout, et ce serait là une faiblesse incompatible avec sa nature, qui est force. Plus nous nous tournons vers elle, plus les doutes qui tourmentent l’homme normal et sain nous paraissent anormaux et morbides. Rappelons-nous le douteur qui ferme une fenêtre, puis retourne vérifier la fermeture, puis vérifie sa vérification, et ainsi de suite. Si nous lui demandons ses motifs, il nous répondra qu’il a pu chaque fois rouvrir la fenêtre en tâchant de la mieux fermer. Et s’il est philosophe, il transposera intellectuellement l’hésitation de sa conduite en cet énoncé de problème : « Comment être sûr, définitivement sûr, qu’on a fait ce que l’on voulait faire ? » Mais la vérité est que sa puissance d’agir est lésée, et que là est le mal dont il souffre : il n’avait qu’une demi-volonté d’accomplir l’acte, et c’est pourquoi l’acte accompli ne lui laisse qu’une demi-certitude. Maintenant, le problème que cet homme se pose, le résolvons-nous ? Évidemment non, mais nous ne le posons pas : là est notre supériorité. À première vue, je pourrais croire qu’il y a plus en lui qu’en moi, puisque l’un et l’autre nous