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dans l’homme ? Sans aucun doute : une fois découpée et distribuée la vie psychologique, tout n’est pas fini ; il reste à suivre la croissance et même la transfiguration de chaque faculté chez l’homme. Mais on aura du moins quelque chance de n’avoir pas tracé des divisions arbitraires dans l’activité de l’esprit, pas plus qu’on n’échouerait à démêler des plantes aux tiges et feuillages entrelacés, enchevêtrés, si l’on creusait jusqu’aux racines.

Appliquons cette méthode au problème des idées générales : nous trouverons que tout être vivant, peut-être même tout organe, tout tissu d’un être vivant généralise, je veux dire classifie, puisqu’il sait cueillir dans le milieu où il est, dans les substances ou les objets les plus divers, les parties ou les éléments qui pourront satisfaire tel ou tel de ses besoins ; il néglige le reste. Donc il isole le caractère qui l’intéresse, il va droit à une propriété commune ; en d’autres termes il classe, et par conséquent abstrait et généralise. Sans doute, dans la presque totalité des cas, et probablement chez tous les animaux autres que l’homme, abstraction et généralisation sont vécues et non pas pensées. Pourtant, chez l’animal même, nous trouvons des représentations auxquelles ne manquent que la réflexion et quelque désintéressement pour être pleinement des idées générales : sinon, comment une vache qu’on emmène s’arrêterait-elle devant un pré, n’importe lequel, simplement parce qu’il rentre dans la catégorie que nous appelons herbe ou pré ? Et comment un cheval distinguerait-il une écurie d’une grange, une route d’un champ, le foin de l’avoine ? Concevoir ou plutôt percevoir ainsi la généralité est d’ailleurs aussi le fait de l’homme en tant qu’il est animal, qu’il a des instincts et des besoins. Sans que sa réflexion et même sa conscience interviennent, une ressemblance peut être extraite