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du dehors, peut encore s’exercer sur celles du dedans, pourvu qu’elle ne prétende pas s’y enfoncer trop profondément.

Mais la tentation est grande de pousser jusqu’au fond de l’esprit l’application des procédés, qui réussissent encore au voisinage de la surface. Qu’on s’y laisse aller, et l’on obtiendra tout simplement une physique de l’esprit, calquée sur celle des corps. Ensemble, ces deux physiques constitueront un système complet de la réalité, ce qu’on appelle quelquefois une métaphysique. Comment ne pas voir que la métaphysique ainsi entendue méconnaît ce que l’esprit a de proprement spirituel, n’étant que l’extension à l’esprit de ce qui appartient à la matière ? Et comment ne pas voir que, pour rendre cette extension possible, on a dû prendre les cadres intellectuels dans un état d’imprécision qui leur permette de s’appliquer encore aux phénomènes superficiels de l’âme, mais qui les condamne à serrer déjà de moins près les faits du monde extérieur ? Est-il étonnant qu’une telle métaphysique, embrassant à la fois la matière et l’esprit, fasse l’effet d’une connaissance à peu près vide et en tout cas vague, — presque vide du côté de l’esprit, puisqu’elle n’a pu retenir effectivement de l’âme que des aspects superficiels, systématiquement vague du côté de la matière, puisque l’intelligence du métaphysicien a dû desserrer assez ses rouages, et y laisser assez de jeu, pour qu’elle pût travailler indifféremment à la surface de la matière ou à la surface de l’esprit ?

Bien différente est la métaphysique que nous plaçons à côté de la science. Reconnaissant à la science le pouvoir d’approfondir la matière par la seule force de l’intelligence, elle se réserve l’esprit. Sur ce terrain, qui lui est propre, elle voudrait développer de nouvelles fonctions de la pensée. Tout le monde a pu remarquer qu’il est plus malaisé d’avancer