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tudes, surtout de l’égoïsme, qui est la pire d’entre elles : « La société, disait-il, doit reposer sur la générosité, c’est-à-dire sur la disposition à se considérer comme de grande race, de race héroïque et même divine[1]. » « Les divisions sociales naissent de ce qu’il y a d’un côté des riches qui sont riches pour eux, et non plus pour la chose commune, de l’autre des pauvres qui, n’ayant plus à compter que sur eux-mêmes, ne considèrent dans les riches que des objets d’envie. » C’est des riches, c’est des classes supérieures qu’il dépendra de modifier l’état d’âme des classes ouvrières. « Le peuple, volontiers secourable, a conservé beaucoup, parmi ses misères et ses défauts, de ce désintéressement et de cette générosité qui furent des qualités des premiers âges… Qu’un signal parte des régions d’en haut pour indiquer au milieu de nos obscurités, le chemin à suivre afin de rétablir dans son ancien empire la magnanimité : de nulle part il n’y sera répondu plus vite que de la part du peuple. Le peuple, a dit Adam Smith, aime la vertu, tellement que rien ne l’entraîne comme l’austérité. »

En même temps qu’il présentait la générosité comme un sentiment naturel, où nous prenons conscience de la noblesse de notre origine, M. Ravaisson montrait dans notre croyance à l’immortalité un pressentiment non moins naturel de notre destinée future. Il retrouvait, en effet, cette croyance à travers l’antiquité classique. Il la lisait sur les stèles funéraires des Grecs, dans ces tableaux où, selon lui, le mort revient annoncer aux membres de sa famille, encore vivants, qu’il goûte une joie sans mélange dans le séjour des bienheureux. Il disait que le sentiment des anciens ne les avait pas trompés sur ce point, que nous retrouverons ailleurs

  1. Revue bleue, 23 avril 1887.