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du musée des antiques. En déplaçant la Vénus de Milo, il s’aperçut que les deux blocs dont la statue est faite avaient été mal assemblés lors de l’installation primitive, et que des cales en bois, interposées entre eux, faussaient l’attitude originelle. Lui-même il détermina à nouveau les positions relatives des deux blocs ; lui-même il présida au redressement. Quelques années plus tard, c’est sur la Victoire de Samothrace qu’il exécutait un travail du même genre, mais plus important encore. Dans la restauration primitive de cette statue, il avait été impossible d’ajuster les ailes, que nous trouvons maintenant d’un si puissant effet. M. Ravaisson refit en plâtre un morceau manquant à droite ainsi que toute la partie gauche de la poitrine : dès lors les ailes retrouvaient leurs points d’attache, et la déesse apparaissait telle que nous la voyons aujourd’hui sur l’escalier du Louvre, corps sans bras, sans tête, où le seul gonflement de la draperie et des ailes qui se déploient rend visible à l’œil un souffle d’enthousiasme qui passe sur une âme.

Or, à mesure que M. Ravaisson entrait plus avant dans la familiarité de la statuaire antique, une idée se dessinait dans son esprit, qui s’appliquait à l’ensemble de la sculpture grecque, mais qui prenait sa signification la plus concrète pour l’œuvre sur laquelle les circonstances avaient plus particulièrement dirigé son attention, la Vénus de Milo.

Il lui apparaissait que la statuaire avait modelé, au temps de Phidias, de grandes et nobles figures, dont le type était allé ensuite en dégénérant, et que cette diminution devait tenir à l’altération qu’avait subie, en se vulgarisant, la conception classique de la divinité. « La Grèce, en ses premiers âges, adorait dans Vénus une déesse qu’elle appelait Uranie… La Vénus d’alors était la souveraine des mondes… C’était une Providence, toute puissance et toute bienveil-