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limites précises, ni mesurer la profondeur, ni même décrire exactement la nature, pas plus qu’on ne saurait rendre l’inexprimable coloration que répand parfois sur toute une vie d’homme un grand enthousiasme de la première jeunesse. Nous sera-t-il permis d’ajouter qu’elles ont un peu éclipsé, par leur éblouissant éclat, l’idée la plus originale du livre ? Que l’étude approfondie des phénomènes de la vie doive amener la science positive à élargir ses cadres et à dépasser le pur mécanisme où elle s’enferme depuis trois siècles, c’est une éventualité que nous commençons à envisager aujourd’hui, encore que la plupart se refusent à l’admettre. Mais, au temps où M. Ravaisson écrivait, il fallait un véritable effort de divination pour assigner ce terme à un mouvement d’idées qui paraissait aller en sens contraire.

Quels sont les faits, quelles sont les raisons qui amenèrent M. Ravaisson à juger que les phénomènes de la vie, au lieu de s’expliquer intégralement par les forces physiques et chimiques, pourraient au contraire jeter sur celles-ci quelque lumière ? Tous les éléments de la théorie se trouvent déjà dans l’Essai sur la métaphysique d’Aristote et dans la thèse sur l’Habitude. Mais sous la forme plus précise qu’elle revêt dans le Rapport, elle se rattache, croyons-nous, à certaines réflexions très spéciales que M. Ravaisson fit pendant cette période sur l’art, et en particulier sur un art dont il possédait à la fois la théorie et la pratique, l’art du dessin.

Le ministère de l’Instruction publique avait mis à l’étude, en 1852, la question de l’enseignement du dessin dans les lycées. Le 21 juin 1853, un arrêté chargeait une commission de présenter au ministre un projet d’organisation de cet enseignement. La commission comptait parmi ses membres Delacroix, Ingres et Flandrin ; elle était présidée par M. Ravaisson. C’est M. Ravaisson qui rédigea le rapport. Il