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des grands maîtres, le même souci de rajeunir cette philosophie traditionnelle, la même confiance dans l’observation intérieure, les mêmes vues générales sur la parenté du vrai et du beau, de la philosophie et de l’art ? Oui sans doute, mais ce qui fait l’accord de deux esprits, c’est moins la similitude des opinions qu’une certaine affinité de tempérament intellectuel.

Chez M. Cousin, la pensée était tendue tout entière vers la parole, et la parole vers l’action. Il avait besoin de dominer, de conquérir, d’organiser. De sa philosophie il disait volontiers « mon drapeau », des professeurs de philosophie « mon régiment » ; et il marchait en tête, ne négligeant pas de faire donner, à l’occasion, un coup de clairon sonore. Il n’était d’ailleurs poussé ni par la vanité, ni par l’ambition, mais par un sincère amour de la philosophie. Seulement il l’aimait à sa manière, en homme d’action. Il estimait que le moment était venu pour elle de faire quelque bruit dans le monde. Il la voulait puissante, s’emparant de l’enfant au collège, dirigeant l’homme à travers la vie, lui assurant dans les difficultés morales, sociales, politiques, une règle de conduite marquée exclusivement au sceau de la raison. À ce rêve, il donna un commencement de réalisation en installant solidement dans notre Université une philosophie disciplinée : organisateur habile, politique avisé, causeur incomparable, professeur entraînant, auquel il n’a manqué peut-être, pour mériter plus pleinement le nom de philosophe, que de savoir supporter quelquefois le tête-à-tête avec sa propre pensée.

C’est aux pures idées que M. Ravaisson s’attachait. Il vivait pour elles, avec elles, dans un temple invisible où il les entourait d’une adoration silencieuse. On le sentait détaché du reste, et comme distrait des réalités de la vie.