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un même point. Alors apparaîtrait dans tout son éclat la pure lumière blanche, celle qui, aperçue ici-bas dans les nuances qui la dispersent, renfermait là-haut, dans son unité indivisée, la diversité indéfinie des rayons multicolores. Alors se révélerait aussi, jusque dans chaque nuance prise isolément, ce que l’œil n’y remarquait pas d’abord, la lumière blanche dont elle participe, l’éclairage commun d’où elle tire sa coloration propre. Tel est sans doute, d’après M. Ravaisson, le genre de vision que nous devons demander à la métaphysique. De la contemplation d’un marbre antique pourra jaillir, aux yeux du vrai philosophe, plus de vérité concentrée qu’il ne s’en trouve, à l’état diffus, dans tout un traité de philosophie. L’objet de la métaphysique est de ressaisir dans les existences individuelles, et de suivre jusqu’à la source d’où il émane, le rayon particulier qui, conférant à chacune d’elles sa nuance propre, la rattache par là à la lumière universelle.

Comment, à quel moment, sous quelles influences s’est formée dans l’esprit de M. Ravaisson la philosophie dont nous avons ici les premiers linéaments ? Nous n’en avons pas trouvé trace dans le mémoire que votre Académie couronna et dont le manuscrit est déposé à vos archives. Entre ce mémoire manuscrit et l’ouvrage publié il y a d’ailleurs un tel écart, une si singulière différence de fond et de forme, qu’on les croirait à peine du même auteur. Dans le manuscrit, la Métaphysique d’Aristote est simplement analysée livre par livre ; il n’est pas question de reconstruire le système. Dans l’ouvrage publié, l’ancienne analyse, d’ailleurs remaniée, ne paraît avoir été conservée que pour servir de substruction à l’édifice cette fois reconstitué de la philosophie aristotélicienne. Dans le manuscrit, Aristote et Platon sont à peu près sur la même ligne. L’auteur estime