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de plus profond dans sa doctrine. Car l’opposition qu’il établit ici entre Platon et Aristote, c’est la distinction qu’il ne cessa de faire, pendant toute sa vie, entre la méthode philosophique qu’il tient pour définitive et celle qui n’en est, selon lui, que la contrefaçon. L’idée qu’il met au fond de l’aristotélisme est celle même qui a inspiré la plupart de ses méditations. À travers son œuvre entière résonne cette affirmation qu’au lieu de diluer sa pensée dans le général, le philosophe doit la concentrer sur l’individuel.

Soient, par exemple, toutes les nuances de l’arc-en-ciel, celles du violet et du bleu, celles du vert, du jaune et du rouge. Nous ne croyons pas trahir l’idée maîtresse de M. Ravaisson en disant qu’il y aurait deux manières de déterminer ce qu’elles ont de commun et par conséquent de philosopher sur elles. La première consisterait simplement à dire que ce sont des couleurs. L’idée abstraite et générale de couleur devient ainsi l’unité à laquelle la diversité des nuances se ramène. Mais cette idée générale de couleur, nous ne l’obtenons qu’en effaçant du rouge ce qui en fait du rouge, du bleu ce qui en fait du bleu, du vert ce qui en fait du vert ; nous ne pouvons la définir qu’en disant qu’elle ne représente ni du rouge, ni du bleu, ni du vert ; c’est une affirmation faite de négations, une forme circonscrivant du vide. Là s’en tient le philosophe qui reste dans l’abstrait. Par voie de généralisation croissante il croit s’acheminer à l’unification des choses : c’est qu’il procède par extinction graduelle de la lumière qui faisait ressortir les différences entre les teintes, et qu’il finit par les confondre ensemble dans une obscurité commune. Tout autre est la méthode d’unification vraie. Elle consisterait ici à prendre les mille nuances du bleu, du violet, du vert, du jaune, du rouge, et, en leur faisant traverser une lentille convergente, à les amener sur