croire à cette invariabilité et à cette indépendance fit une hypothèse : c’est cette hypothèse que nous adoptons couramment toutes les fois que nous employons un substantif, toutes les fois que nous parlons. Notre grammaire aurait été autre, autres eussent été les articulations de notre pensée, si l’humanité, au cours de son évolution, avait préféré adopter des hypothèses d’un autre genre.
La structure de notre esprit est donc en grande partie notre œuvre, ou tout au moins l’œuvre de quelques-uns d’entre nous. Là est, ce me semble, la thèse la plus importante du pragmatisme, encore qu’elle n’ait pas été explicitement dégagée. C’est par là que le pragmatisme continue le kantisme. Kant avait dit que la vérité dépend de la structure générale de l’esprit humain. Le pragmatisme ajoute, ou tout au moins implique, que la structure de l’esprit humain est l’effet de la libre initiative d’un certain nombre d’esprits individuels.
Cela ne veut pas dire, encore une fois, que la vérité dépende de chacun de nous : autant vaudrait croire que chacun de nous pouvait inventer le phonographe. Mais cela veut dire que, des diverses espèces de vérité, celle qui est le plus près de coïncider avec son objet n’est pas la vérité scientifique, ni la vérité de sens commun, ni, plus généralement, la vérité d’ordre intellectuel. Toute vérité est une route tracée à travers la réalité ; mais, parmi ces routes, il en est auxquelles nous aurions pu donner une direction très différente si notre attention s’était orientée dans un sens différent ou si nous avions visé un autre genre d’utilité ; il en est, au contraire, dont la direction est marquée par la réalité même : il en est qui correspondent, si l’on peut dire, à des courants de réalité. Sans doute celles-ci dépendent encore de nous dans une certaine mesure, car nous sommes