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contre l’hypothèse d’un « principe vital » ; mais, partout où il le fait, il vise expressément le vitalisme superficiel des médecins et des physiologistes qui affirmaient l’existence, chez l’être vivant, d’une force capable de lutter contre les forces physiques et d’en contrarier l’action. C’était le temps où l’on pensait couramment que la même cause, opérant dans les mêmes conditions sur le même être vivant, ne produisait pas toujours le même effet. Il fallait compter, disait-on, avec le caractère capricieux de la vie. Magendie lui-même, qui a tant contribué à faire de la physiologie une science, croyait encore à une certaine indétermination du phénomène vital. À tous ceux qui parlent ainsi Claude Bernard répond que les faits physiologiques sont soumis à un déterminisme inflexible, aussi rigoureux que celui des faits physiques ou chimiques : même, parmi les opérations qui s’accomplissent dans la machine animale, il n’en est aucune qui ne doive s’expliquer un jour par la physique et la chimie. Voilà pour le principe vital. Mais transportons-nous maintenant à l’idée organisatrice et créatrice. Nous trouverons que, partout où il est question d’elle, Claude Bernard s’attaque à ceux qui refuseraient de voir dans la physiologie une science spéciale, distincte de la physique et de la chimie. Les qualités, ou plutôt les dispositions d’esprit, qui font le physiologiste ne sont pas identiques, d’après lui, à celles qui font le chimiste et le physicien. N’est pas physiologiste celui qui n’a pas le sens de l’organisation, c’est-à-dire de cette coordination spéciale des parties au tout qui est caractéristique du phénomène vital. Dans un être vivant, les choses se passent comme si une certaine « idée  » intervenait, qui rend compte de l’ordre dans lequel se groupent les éléments. Cette idée n’est d’ailleurs pas une force, mais simplement un principe d’explication : si elle