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des relations, soit dans des choses. En tant qu’il travaille sur des concepts de relations, il aboutit au symbolisme scientifique. En tant qu’il opère sur des concepts de choses, il aboutit au symbolisme métaphysique. Mais, dans un cas comme dans l’autre, c’est de lui que vient l’arrangement. Volontiers il se croirait indépendant. Plutôt que de reconnaître tout de suite ce qu’il doit à l’intuition profonde de la réalité, il s’expose à ce qu’on ne voie dans toute son œuvre qu’un arrangement artificiel de symboles. De sorte que si l’on s’arrêtait à la lettre de ce que disent métaphysiciens et savants, comme aussi à la matérialité de ce qu’ils font, on pourrait croire que les premiers ont creusé au-dessous de la réalité un tunnel profond, que les autres ont lancé pardessus elle un pont élégant, mais que le fleuve mouvant des choses passe entre ces deux travaux d’art sans les toucher.

Un des principaux artifices de la critique kantienne a consisté à prendre au mot le métaphysicien et le savant, à pousser la métaphysique et la science jusqu’à la limite extrême du symbolisme où elles pourraient aller, et où d’ailleurs elles s’acheminent d’elles-mêmes dès que l’entendement revendique une indépendance pleine de périls. Une fois méconnues les attaches de la science et de la métaphysique avec l’ « intuition intellectuelle », Kant n’a pas de peine à montrer que notre science est toute relative et notre métaphysique tout artificielle. Comme il a exaspéré l’indépendance de l’entendement dans un cas comme dans l’autre, comme il a allégé la métaphysique et la science de l’« intuition intellectuelle » qui les lestait intérieurement, la science ne lui présente plus, avec ses relations, qu’une pellicule de forme, et la métaphysique, avec ses choses, qu’une pellicule de matière. Est-il étonnant que la première