Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des grandeurs, si les procédés mathématiques ne s’appliquent qu’à des quantités, il ne faut pas oublier que la quantité est toujours de la qualité à l’état naissant : c’en est, pourrait-on dire, le cas limite. Il est donc naturel que la métaphysique adopte, pour l’étendre à toutes les qualités, c’est-à-dire à la réalité en général, l’idée génératrice de notre mathématique. Elle ne s’acheminera nullement par là à la mathématique universelle, cette chimère de la philosophie moderne. Bien au contraire, à mesure qu’elle fera plus de chemin, elle rencontrera des objets plus intraduisibles en symboles. Mais elle aura du moins commencé par prendre contact avec la continuité et la mobilité du réel là où ce contact est le plus merveilleusement utilisable. Elle se sera contemplée dans un miroir qui lui renvoie une image très rétrécie sans doute, mais très lumineuse aussi, d’elle-même. Elle aura vu avec une clarté supérieure ce que les procédés mathématiques empruntent à la réalité concrète, et elle continuera dans le sens de la réalité concrète, non dans celui des procédés mathématiques. Disons donc, ayant atténué par avance ce que la formule aurait à la fois de trop modeste et de trop ambitieux, qu’un des objets de la métaphysique est d’opérer des différenciations et des intégrations qualitatives.

VIII. Ce qui a fait perdre de vue cet objet, et ce qui a pu tromper la science elle-même sur l’origine de certains procédés qu’elle emploie, c’est que l’intuition, une fois prise, doit trouver un mode d’expression et d’application qui soit conforme aux habitudes de notre pensée et qui nous fournisse, dans des concepts bien arrêtés, les points d’appui solides dont nous avons un si grand besoin. Là est la condition de ce que nous appelons rigueur, précision, et aussi extension indéfinie d’une méthode générale à des