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sans difficulté, de dissiper progressivement les obscurités que l’analyse accumule autour des grands problèmes. Sans aborder ici l’étude de ces différents points, bornons-nous à montrer comment l’intuition dont nous parlons n’est pas un acte unique, mais une série indéfinie d’actes, tous du même genre sans doute, mais chacun d’espèce très particulière, et comment cette diversité d’actes correspond à tous les degrés de l’être.

Si je cherche à analyser la durée, c’est-à-dire à la résoudre en concepts tout faits, je suis bien obligé, par la nature même du concept et de l’analyse, de prendre sur la durée en général deux vues opposées avec lesquelles je prétendrai ensuite la recomposer. Cette combinaison ne pourra présenter ni une diversité de degrés ni une variété de formes : elle est ou elle n’est pas. Je dirai, par exemple, qu’il y a d’une part une multiplicité d’états de conscience successifs et d’autre part une unité qui les relie. La durée sera la « synthèse » de cette unité et de cette multiplicité, opération mystérieuse dont on ne voit pas, je le répète, comment elle comporterait des nuances ou des degrés. Dans cette hypothèse, il n’y a, il ne peut y avoir qu’une durée unique, celle où notre conscience opère habituellement. Pour fixer les idées, si nous prenons la durée sous l’aspect simple d’un mouvement s’accomplissant dans l’espace, et que nous cherchions à réduire en concepts le mouvement considéré comme représentatif du Temps, nous aurons d’une part un nombre aussi grand qu’on voudra de points de la trajectoire, et d’autre part une unité abstraite qui les réunit, comme un fil qui retiendrait ensemble les perles d’un collier. Entre cette multiplicité abstraite et cette unité abstraite la combinaison, une fois posée comme possible, est chose singulière à laquelle nous ne trouverons pas plus de nuances que n’en admet, en