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que sur mesure, se voit obligé, pour chaque nouvel objet qu’il étudie, de fournir un effort absolument nouveau. Il taille pour l’objet un concept approprié à l’objet seul, concept dont on peut à peine dire que ce soit encore un concept, puisqu’il ne s’applique qu’à cette seule chose. Il ne procède pas par combinaison d’idées qu’on trouve dans le commerce, unité et multiplicité par exemple ; mais la représentation à laquelle il nous achemine est au contraire une représentation unique, simple, dont on comprend d’ailleurs très bien, une fois formée, pourquoi l’on peut la placer dans les cadres unité, multiplicité, etc., tous beaucoup plus larges qu’elle. Enfin la philosophie ainsi définie ne consiste pas à choisir entre des concepts et à prendre parti pour une école, mais à aller chercher une intuition unique d’où l’on redescend aussi bien aux divers concepts, parce qu’on s’est placé au-dessus des divisions d’écoles.

Que la personnalité ait de l’unité, cela est certain ; mais pareille affirmation ne m’apprend rien sur la nature extraordinaire de cette unité qu’est la personne. Que notre moi soit multiple, je l’accorde encore, mais il y a là une multiplicité dont il faudra bien reconnaître qu’elle n’a rien de commun avec aucune autre. Ce qui importe véritablement à la philosophie, c’est de savoir quelle unité, quelle multiplicité, quelle réalité supérieure à l’un et au multiple abstraits est l’unité multiple de la personne. Et elle ne le saura que si elle ressaisit l’intuition simple du moi par le moi. Alors, selon la pente qu’elle choisira pour redescendre de ce sommet, elle aboutira à l’unité, ou à la multiplicité, ou à l’un quelconque des concepts par lesquels on essaie de définir la vie mouvante de la personne. Mais aucun mélange de ces concepts entre eux, nous le répétons, ne donnerait rien qui ressemble à la personne qui dure.