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nation ? Il laissera de côté l’inexprimable nuance qui la colore et qui fait que mon inclination n’est pas la vôtre ; puis il s’attachera au mouvement par lequel notre personnalité se porte vers un certain objet ; il isolera cette attitude, et c’est cet aspect spécial de la personne, ce point de vue sur la mobilité de la vie intérieure, ce « schéma » de l’inclination concrète qu’il érigera en fait indépendant. Il y a là un travail analogue à celui d’un artiste qui, de passage à Paris, prendrait par exemple un croquis d’une tour de Notre-Dame. La tour est inséparablement liée à l’édifice, qui est non moins inséparablement lié au sol, à l’entourage, à Paris tout entier, etc. Il faut commencer par la détacher ; on ne notera de l’ensemble qu’un certain aspect, qui est cette tour de Notre-Dame. Maintenant, la tour est constituée en réalité par des pierres dont le groupement particulier est ce qui lui donne sa forme ; mais le dessinateur ne s’intéresse pas aux pierres, il ne note que la silhouette de la tour. Il substitue donc à l’organisation réelle et intérieure de la chose une reconstitution extérieure et schématique. De sorte que son dessin répond, en somme, à un certain point de vue sur l’objet et au choix d’un certain mode de représentation. Or, il en est tout à fait de même pour l’opération par laquelle le psychologue extrait un état psychologique de l’ensemble de la personne. Cet état psychologique isolé n’est guère qu’un croquis, un commencement de recomposition artificielle ; c’est le tout envisagé sous un certain aspect élémentaire auquel on s’est intéressé spécialement et qu’on a pris soin de noter. Ce n’est pas une partie, mais un élément. Il n’a pas été obtenu par fragmentation, mais par analyse.

Maintenant, au bas de tous les croquis pris à Paris l’étranger inscrira sans doute « Paris » en guise de mémento. Et comme il a réellement vu Paris, il saura, en redescendant