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vaudront point à cet exemplaire en relief qui est la ville où l’on se promène. Toutes les traductions d’un poème dans toutes les langues possibles auront beau ajouter des nuances aux nuances et, par une espèce de retouche mutuelle, en se corrigeant l’une l’autre, donner une image de plus en plus fidèle du poème qu’elles traduisent, jamais elles ne rendront le sens intérieur de l’original. Une représentation prise d’un certain point de vue, une traduction faite avec certains symboles, restent toujours imparfaites en comparaison de l’objet sur lequel la vue a été prise ou que les symboles cherchent à exprimer. Mais l’absolu est parfait en ce qu’il est parfaitement ce qu’il est.

C’est pour la même raison, sans doute, qu’on a souvent identifié ensemble l’absolu et l’infini. Si je veux communiquer à celui qui ne sait pas le grec l’impression simple que me laisse un vers d’Homère, je donnerai la traduction du vers, puis je commenterai ma traduction, puis je développerai mon commentaire, et d’explication en explication je me rapprocherai de plus en plus de ce que je veux exprimer ; mais je n’y arriverai jamais. Quand vous levez le bras, vous accomplissez un mouvement dont vous avez intérieurement, la perception simple ; mais extérieurement, pour moi qui le regarde, votre bras passe par un point, puis par un autre point, et entre ces deux points il y aura d’autres points encore, de sorte que, si je commence à compter, l’opération se poursuivra sans fin. Vu du dedans, un absolu est donc chose simple ; mais envisagé du dehors, c’est-à-dire relativement à autre chose, il devient, par rapport à ces signes qui l’expriment, la pièce d’or dont on n’aura jamais fini de rendre la monnaie. Or, ce qui se prête en même temps à une appréhension indivisible et à une énumération inépuisable est, par définition même, un infini.